II. Chroniques universitaires

   
         

 

 

« Il n’empêche, Seilius, êtes-vous sûr de vouloir prendre cet… cet incompétent comme Apprenti ? Je veux dire qu’il m’a tout l’air d’un incapable…
- Vous m’enlevez les mots de la bouche, Baln. Alors, Seilius, que répondez-vous ?
- Qu’il est absolument parfait. Taciturne et sans prétention. Tout ce qu’il faut pour être un bon Nécromant. Vous savez tous deux pertinemment les dangers qu’il y aurait à choisir un Apprenti trop… comment dire ? Flamboyant. Souvenez-vous de ce qui s’est passé il y a deux mille ans, et qui a justifié la réforme de l’Université.
- Nous en sommes conscients, mais fallait-il choisir un individu aussi… insignifiant ?
- Vous voulez peut-être prolonger la procédure d’inscription de quelques mois ?
- Hum… Bon et bien, je crois que nous en resterons là alors.
- Oui, effectivement, je suis d’accord avec Baln. Seilius, vous avez un Apprenti à présent – occupez-vous bien de lui. Quant à nous, nous regagnons nos loges. Nous règlerons le reste des formalités demain. Au revoir, Seilius.
- Au revoir, Seilius.
- Au revoir à vous deux. »

Seilius resta seul dans l’Amphithéâtre, et ne put s’empêcher de sourire.
Un sourire serein, exprimant la plus complète plénitude.

 

   

   

 

   

 

 

« QUOI ? Tu as été pris ? Par l’Essence ! Par le Dragon ! Lanseo, c’est merveilleux ! »


Pyra le prit dans se bras et l’entraîna dans une farandole endiablée. Elle riait, et le bonheur se lisait sur son visage. Elle était heureuse pour lui.
Lanseo se força à sourire.


Cela allait être son premier jour dans les cryptes – Maître Seilius avait dit qu’il valait mieux commencer le plus tôt possible – et il allait bientôt devoir y descendre pour y suivre son apprentissage. Selon Maître Seilius, il allait devoir déménager des quartiers étudiants pour une chambre dans le sous-sol. Il n’était guère enthousiasmé à cette idée.

« Au fait, je pourrai te rendre visite, en dessous, ou pas ?
- Je crois pas non. Mais Maître seilius m’a dit qu’il m’autoriserait à sortir une fois par semaine, et que j’aurai droit à quinze jours de congé par an.
- C’est tout ? C’est bien moins que les congés officiels auxquels les étudiants des autres Sections ont droit ! Tu comptes protester, j’espère ?
- Je ne sais pas si je devrais… »

Et ils continuèrent à discuter un bon moment, quand le Grand Carillon résonna à travers toute l’Université. Les cours allaient reprendre après la pause de la mi-journée. Pyra le laissa à regret, lui fit promettre de repasser la voir à sa prochaine sortie des catacombes, et lui accorda un baiser sur la joue qui le fit frémir.

Alors elle s’éloigna en riant, son rire résonnant dans les couloirs.

 

   

 

 

   
 

 

Bon.
Quand faut y aller, faut y aller.
Lanseo poussa la lourde porte de bois noir et vit l’étroit escalier qui descendait dans les sous-sols, là où se trouvaient les quartiers de la Section Nécromancie. 
L’obscurité était absolue. 

Il inspecta les murs, à la recherche de quelque talisman de lumière qui pourrait éclairer sa descente, mais rien. Il hésita, et fut sur le point de rebrousser chemin quand une silhouette surgit derrière lui. Un homme de haute stature, vêtu d’une robe bleue nuit, et brodée d’or.

« Excusez-moi, jeune homme, je dois descendre. »

C’était Jarel, le Maître de la Section des Forces, la Magie du Mouvement et du Changement – la plus populaire parmi les étudiants. C’était normal, vu l’éventail de carrières qui s’ouvrait à vous quand votre formation était terminée – de l’Armée à l’Administration, tout le monde avait besoin de leurs talents de manipulation de la réalité. Seule la Section de Méca-Magie rivalisait en popularité, avec ses Méta-Machines. Et dire qu’il aurait pu suivre ces carrières plutôt qu’à devoir affronter les ténèbres du sous-sol…

« Vous êtes le nouvel Apprenti Nécromant ?
- Heu… Oui, Maître Jarel.
- C’est une bien belle carrière qui vous attend mon jeune ami. Oubliez vos préjugés, et vous verrez que la Nécromancie est elle aussi un art passionnant. J’ai moi-même postulé pour devenir Apprenti, mais bon, votre Maître Seilius m’a battu, sur le fil. »

Maître Jarel sourit à l’étudiant, un rien de nostalgie dans le regard. Lanseo n’en revenait pas qu’un Maître de Section en vienne à lui faire ce genre de confidence. Etre Apprenti Nécromant revenait peut-être à pénétrer dans un autre niveau de réalité.

« Venez avec moi, si c’est l’obscurité qui vous arrête – je dois parler à votre futur Maître »

Jarel leva un doigt, et des étincelles jaillirent de l’air ambiant pour venir se concentrer en une petite sphère qu’il stabilisa et affecta au dessus de sa tête. La petite boule projetait une lumière blanche mais froide, mais largement suffisante pour éclairer les kilomètres d’escaliers qui semblaient s’étendre au dessous d’eux.

Le Maître de Section s’avança et commença à descendre, suivi de la silhouette gauche du nouvel Apprenti Nécromant. Lanseo le suivit en silence. Ainsi donc, son Maître et le Maître Jarel avait été condisciples… C’était étrange, car si les traits de Seilius étaient clairement ceux d’un vieillard, ceux de Jarel lui donnaient à peine trente ans… La magie des Forces l’aidait-elle à rester si jeune ? Et la Nécromancie ? Après tout, l’art de la Mort devait bien donner des compensations quant au vieillissement… Alors pourquoi Seilius était-il si vieux alors qu’ils semblaient tous deux avoir le même âge ?

La descente fut plus courte que ne l’aurait pensé Lanseo, qui était resté plongé dans ses complexes réflexions pendant tout le trajet, et ils parvinrent devant une grande grille de métal noir et rouillé. Une serrure unique la fermait, et une petite clochette pendait sur le côté.
Jarel leva la main vers la clochette qui se mit en mouvement sans qu’il la touchât, tintant d’un petit son cristallin. Un moment passa dans le silence, puis le son de pas feutrés parvint à leurs oreilles. C’était Seilius, dans la même vieille robe noire qu’il semblait porter depuis toujours, son bâton de bois d’ébène à la main. Le Maître Nécromant lança :

« Mon ami ! C’est rare de te voir descendre dans mes quartiers ! Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? »

Seilius s’approcha puis vit la maigre silhouette de Lanseo derrière Jarel. Il lui sourit, et dit :
« Hé, le Maître de la Section des Forces essaierait-il de me voler mes Apprentis ? »

Jarel lui répondit d’un sourire jovial.

« Allons, Seilius, il y a des problèmes dont je voudrais te parler.
- Entendu, allons-y, tu connais le chemin vers mon bureau. Quant à toi Lanseo, tu vois cette grande porte là-bas ? Ce sont les Archives. Va m’y attendre, veux-tu ? »

Et les deux Maîtres de Section s’esquivèrent dans l’ombre des couloirs.
Lanseo resta seul un moment, puis se dirigea vers la Salle des Archives.
Pour la deuxième fois en deux jours, il eut le souffle coupé par ce qu’il voyait.

  

   

         
 

 

De grandes arches de pierres enjambaient le vide, fines structures élancées se balançant entre d’immenses colonnes de granit, celles-là même qui servaient à soutenir l’Université depuis sa fondation, il y avait près de deux mille cinq cents ans. Sur chacune de ces colonnes, des milliers de livres et de manuscrits, couvrant entièrement leur paroi, du plafond vers les profondeurs des sous-sols. La faible lumière de sphères lumineuses grisâtre donnait à l’ensemble un côté presque irréel. Presque.

D’étranges panneaux de pierres flottaient au dessus du vide, semés sur les bords des arches de pierre, servant sans doute au déplacement le long des colonnes. Et des colonnes, il semblait y en avoir des centaines. Non, des milliers. Toutes couvertes de livres.

Lanseo n’avait jamais vu d’endroit aussi grandiose de toute sa vie. Il y avait une force et une beauté dans ce décor qu’il n’aurait jamais pu imaginer dans les sous-sols de l’Université. Il se demanda pourquoi personne, en haut, ne lui en avait parlé. Il se demanda même comment les massifs bâtiments de la surface faisaient pour tenir au dessus de tant d’espace vide.
Les colonnes s’étendaient à perte de vue, plus qu’il ne pouvait en compter. Il y avait même certainement plus de livres ici que dans la Grande Bibliothèque de Caleh. Il en ressentit presque de la fierté, à l’idée d’être l’un des rares à pouvoir à l’avenir parcourir les rayons de cet endroit si fabuleux.

Il s’approcha d’un des panneaux flottants. Il semblait fait d’une roche rugueuse, grise mais veinée d’une autre pierre verte translucide, et ses sandales crissèrent quand il y posa les pieds. Il mit à l’épreuve la stabilité de l’étrange plate-forme, donnant quelques coups de talon. Parfaitement stable. Il essaya de pousser du pied pour la faire avancer, mais échoua. Il tapa alors d’un coup de pied sur le rebord de l’arche où il se trouvait, et le plateau avança lentement au dessus du vide sous la poussée, d’un mouvement parfaitement fluide et s’approchant d’une colonne, pour s’arrêter à peu près à mi-chemin.

C’est alors qu’il se demanda comment il pourrait continuer d’avancer sans point d’appui.
Par le Dragon, il ne se serait jamais crû si stupide.

Il regarda aux alentours. Rien. Pas une prise où s’accrocher. Et vues ses compétences sportives, il était hors de question d’essayer de sauter par dessus le vide vers l’arche.
Et zut.

Il inspecta la plate-forme sous lui, tentant de trouver un quelconque moyen de propulsion, comme avec les Méta-Machines – mais rien. Pas un mécanisme, pas un talisman.

Zut, zut, zut.

Il commençait à paniquer. Il se mordit la lèvre pour se calmer.

Bon, il y avait sans doute un moyen de s’en sortir autrement qu’en appelant à l’aide. Pour son premier jour, ce n’était pas le moment de se faire mal voir par son Maître, il n’avait pas envie de saboter l’apparente confiance que son Maître semblait avoir pour lui pour l’instant.
Alors il pencha la tête, et regarda en dessous de la plate-forme.
Rien non plus.

Il allait remonter la tête quand il remarqua l’étrange consistance de l’air sous les veines de pierre verte. L’air y était trouble, comme un mirage, quand l’air était très chaud – c’était un phénomène courant dans les Cités Libres, où toutes les rues étaient pavées de marbre blanc, brûlant sous le soleil d’été : l’air y devenait comme tordu, reflétant le ciel, et donnant l’apparence de l’eau. C’était d’ailleurs l’un des principes de base de la théorie des Illusions, sur lequel se basait l’une des spécialités de la Section des Forces. L’un de ses amis – qui n’avait pas été recalé, lui – s’était spécialisé en Forces, et lui avait un peu expliqué ce dont il retournait. Mais ce n’était qu’un mince aperçu de tout ce qu’il y avait à savoir.

Lanseo soupira.

Il aurait bien voulu réussir son examen de passage, l’an dernier.

Il regarda autour de lui, en quête d’une idée. Il fallait absolument qu’il comprenne comment fonctionnaient les plate-formes, et alors il pourrait se sortir de là. Il avait beau être nul en magie, il devait trouver une solution.

C’est alors qu’il perçut le bourdonnement. On aurait plutôt dit un flot de murmures confus et désagréable, dont l’intensité se fit croissante autour de lui. Il se passait quelque chose, et cela l’inquiétait.

Cela l’inquiétait même beaucoup.

C’est là qu’un nuage tournoyant d’ombres ténébreuses jaillit des profondeurs vers la plate-forme où le jeune homme se tenait, et Lanseo fut soudain submergé par une véritable cacophonie de voix geignardes et grinçantes. Les ombres tourbillonnaient autour de la plate-forme, qui se mit lentement en mouvement.

« Krrr… Encore du boulot… Krrr… J’en ai marre… Tais-toi et pousse… Krrr… Krrr… Qu’est-ce qu’il croit, qu’on va travailler comme ça pour toujours ? Krrr… La ferme, les gars, y en a qui poussent ici… Krrr… C’est toujours mieux qu’avant finalement… Krrr… Krrr… Foutu Nécro ! Krrr... Krrr… Moi je le trouve sympa… Krrr… Tu te souviens du précédent ? Krrr... Krrr... Ouais, quel idiot çui-là... Krrr… Ben au moins le nouveau il nous laisse nous balader la nuit… Krrr… Ouais, mais bon… Krrr… Vous avez pas l’impression de vous faire exploiter ? Je veux dire… Krrr… Krrr… On travaille pour rien après tout… Krrr… C’est vrai, mais… Krrr… On n’aurait pas grand chose à faire sinon… Tout plutôt que le Néant… Krrr… Krrr… Ouais, t’as raison… C’est trop mortel là-bas… Krrr… Krrr… Merde, il pourrait quand même faire attention, celui-là… Krrr… Laisser les plate-formes là où il les a pris, c’est pas trop compliqué, non ? Krrr… Tu sais bien comme ils sont tous…Krrr… Au dessus de tout le reste... Krrr… Krrr… Les Vivants ne sont plus du tout ce qu’ils étaient… De mon temps… Krrr… Ouais, on sait… Les Nécro vous laissaient faire ce que vous vouliez… Krrr… Krrr… Temps béni, paradis et tout… Pépé, ferme-la, on en a marre de t’entendre… Krrr… Krrr… Comment osez-vous me parler comme ça ? Sachez que j’étais déjà mort alors que vos aïeux n’étaient même pas nés ! Krrr… Krrr… Ouais, c’est ça, Papi… Espèce de petits impertinents, je devrais vous… Krrr… Krrr… »

Lanseo s’était arrêté de respirer.
Ces ombres parlaient.
C’étaient des âmes de personnes mortes. 
Et elles se chamaillaient entre elles tout en ramenant la plate-forme à son point de départ. Par le Dragon, il en restait bouche-bée.

« Krrr… Hé… Krrr… T’as vu le petit nouveau ? Krrr… Tu crois qu’il nous voit ? Il dit rien depuis qu’on est là... Krrr… Krrr… Peut-être… J’sais pas… Krrr… M’a l’air bien pâle… Krrr… J’espère que le Maître le nourrit bien… Oh Mamie, tu vas pas t’y mettre toi-aussi ! Krrr… Krrr… Si vous voulez mon avis il nous entend… Serait pas aussi pâle sinon… Krrr… Krrr… Hola, les gars, faut que quelqu’un lui dise de respirer – je crois qu’il s’est arrêté depuis deux minutes, là… Krrr… Krrr… Ben merde… On va avoir un nouveau copain si ça se trouve… Krrr… Dis pas de bêtises ! Krrr… hé, oh, p’tit gars, tu nous entends ? Remets-toi à respirer ! Tu vas claquer sinon… Krrr… Krrr… Ouh ouh, p’tit gars ! Krrr… Krrr… Bon ben, je crois qu’il s’est évanoui, là … Krrr…Je crois que c’est ta tête qui lui revenait pas… Krrr… La ferme ! Krrr… Croyez qu’on devrait prévenir le Maître ?… Krrr... Krrr… J’sais pas… Tu sais, moi, les initiatives… Krrr… Le pauvre, faut quand même faire quelque chose – va tomber sinon… Krrr… Krrr…Ouh, ces Vivants, de vraies chochottes… »

 

   
         

 

 

Pyra se concentra un peu plus.
Ce ne devait pas être si difficile que ça.
Elle leva un bras, tentant de focaliser toute sa volonté sur le bout de son doigt.

« Allez-y, gardez bien cette position pendant quelques instants. Et concentrez bien vos esprits sur les incantations, tout le monde les connaît j’espère ? Bien, à présent, tracer un cercle à l’aide de votre bras tendu… »

La voix du Responsable des Travaux Pratiques, un vieil étudiant qui semblait hanter l’Université depuis des années, se fit plus nerveuse.

« Vous êtes prêts ? Allez-y ! »

Pyra finit de tracer son cercle, et frappa soudain en plein centre du tracé imaginaire avec son autre main. Une décharge de chaleur surgit alors sous la pression, montant d’un coup la température environnante d’une dizaine de degrés Delmo.
Elle avait réussi.
Son premier sort avait marché !
Elle en rit de fierté.

Et elle ne fut pas la seule à réussir : des centaines d’autres étudiants en Arts magiques venaient de réussir en même temps qu’elle. Ce qui revenait, en gros, à faire passer la température du grand gymnase de l’Université d’un froid quasi polaire à une torpeur typiquement tropicale. Ils avaient tous bien chaud à présent. Peut-être même un peu trop, mais bon, il n’allaient pas se plaindre de la chaleur alors qu’ils venaient de se plaindre du froid qui régnait dans le gymnase en plein hiver.

Le Responsable s’épongea le front en soupirant. Décidément il détestait ces séances en intérieur, mais il y était bien obligé. Le Conseil des Anciens avait formellement interdit la pratique de cet exercice en extérieur, après qu’on se soit aperçu que l’action cumulée de milliers d’étudiants avait la fâcheuse tendance à modifier le climat de tout le continent…

Il faut dire que l’Université ne connut plus de véritable hiver pendant les quelques siècles où le sortilège de Cercle de Chaleur devint le standard en matière d’apprentissage des Forces, alors que la neige tombait traditionnellement en abondance dans cette région dans les époques précédentes… Au moins, maintenant, les batailles de boules de neige étaient redevenues chose courante.

Le Responsable enleva son épais manteau de peau de laine avant de passer à la suite, grimaçant d’avance.
« Bien maintenant, nous allons nous entraîner au Cercle de Gel… »

   
         
   

 

Lanseo pénétra timidement dans le Grand Amphithéâtre, réquisitionné pour l’occasion.

L’endroit, tout bonnement gigantesque, pouvait contenir plus de trois mille étudiants, et tout un dispositif complexe de sorts et d’enchantements assurait aux élèves la possibilité de bien entendre et de bien voir tout ce qui émanait des vieux érudits.

Il fit un pas en avant, et eut le souffle coupé. La gigantesque pièce était vide. C’était la première fois qu’il la voyait ainsi.

Le pire fut de se rendre compte qu’il était le seul à être venu à l’audition.

 

   
         
   

 

Il s’éveilla, l’esprit embrumé.
Il était couché avec ses vêtements sur un lit de bois noir, dans une chambre sans fenêtre. Une chandelle de suif dispensait une maigre lumière, mais suffisante pour distinguer la porte dans le fond de la pièce. 

Il se leva, et marcha gauchement vers la porte.
Dehors, l’obscurité. Ces mêmes ténèbres qui envahissaient l’escalier avant qu’il ne descendent dans les sous-sols de l’Université.

« Coucou. »

Lanseo sursauta, poussant un cri peu glorieux.

« Qui est là ?
- C’est moi. »

Le jeune Apprenti Nécromant regarda autour de lui, mais ne vit rien. Enfin, s’il était possible de distinguer quelque chose dans tout ce noir, il ne la voyait pas. Il sentit un courant d’air froid le traverser, et ne put réprimer un frisson. 

« Heu, qui est là ?
- C’est moi, là, tu ne me vois pas ?
- Non, pas du tout. Vous êtes… heu… une âme perdue ? »

Un grand rire emplit ses oreilles, un rire émanant d’une voix étrangement caverneuse. Lanseo n’en fut que plus mal à l’aise.

« Si j’étais perdu, je ne serais pas là, mon p’tit gars. Bon, écoute, c’est Maître Seilius qui m’envoie à toi. Je vais te servir de guide pendant les premiers temps. Va falloir te familiariser un peu avec tout le système si tu veux pas que ça recommence. Tu sais que très lourd ? T’as beau être maigre, tes os pèsent des tonnes. On a dû s’y mettre à plusieurs milliers pour te hisser et te ramener à Maître Seilius…
- Alors, vous… vous êtes vraiment… un mort ?
- Ouaip, et fier de l’être. J’m’appelle Veis. Je te serrerais volontiers la main, mais je crois qu’on remettra ça à plus tard, quand tu maîtriseras un peu la Nécromancie. Tu vas voir, je suis sûr que tu vas te plaire parmi nous. Les nouvelles têtes sont rares dans le coin.
- Heu, et où est Maître Seilius ?
- Parti. Il a fait sa valise ce matin – t’es resté inconscient pendant deux jours – il avait besoin de vacances, le pauvre vieux.
- Mais alors, ça veux dire que je suis tout seul ici ? Combien de temps sera-t-il absent ?
- Ben j’sais pas trop. C’est ses premières vacances depuis que je le connais. Un an, ou deux ?
- Quoi ? Et qu’est-ce que je fais en attendant ?
- T’inquiètes, le vieux a pensé à tout. Il t’a laissé une liste, avec tout ce que tu as à faire pendant son absence. Tu vas voir, on va bien rigoler. Allez, suis-moi, je vais te montrer ton cabinet de travail.
- Heu…
- Ben quoi, t’arrives ?
- C’est que, Veis, je te vois pas…
- Ah. Zut. Attends une seconde. Ferme les yeux, et concentre-toi. Fais bien le vide surtout.
- D’accord. »

Lanseo gardait les yeux fermés. Il n’arrivait pas vraiment à faire le vide, mais c’était tout comme. Il attendit. Longtemps.

« Heu, Veis ?
- Oui ?
- C’est quand que je pourrai rouvrir les yeux ? Tu es visible maintenant ?
- J’crois pas. T’es pas doué, toi. Seilius faisait mieux à ton âge.
- Tu as connu Seilius Apprenti ?
- Ouaip. Un bail maintenant. Il te ressemblait un peu d’ailleurs. Tous les Nécros sont grands, maigres et osseux. C’est triste. Même les Nécromanciennes sont aussi maigres et plates que leur balai. Bon, attends, je vais essayer autre chose. Attends une seconde. »

Lanseo entendit le froufrou d’un tissu qu’on remuait.

« Voilà, ça devrait marcher ça. Vas-y, ouvre les yeux. »

L’Apprenti Nécromant obéit, et vit.
Un grand drap, flottant dans les airs, recouvrant une silhouette vaguement humaine.

« Hi hi, ça fait un moment que j’avais pas essayé. Ca chatouille drôlement. Tiens, tu peux me percer des yeux dans le tissu ? Ouais, et trouve une corde pour attacher le bas du drap – manquerait plus qu’un courant d’air me l’enlève, tiens. Bon sang, je suis sûr que les potes vont se foutre de moi. »

Lanseo obéit, soulagé de constater que la précédente discussion n’était pas un symptôme révélateur de son éventuelle schizophrénie. Quoique, les Mages de la Section Psychée – les Psy comme on les appelle habituellement – parvenaient à soigner le mal dans 75% des cas, ce qui était déjà mieux que leur taux de réussite avec les dépressifs chroniques.

Il se mit à sourire. Il voyait des fantômes, et contrairement à ce qu’on disait, ce n’étaient pas de vilaines personnes. Pourquoi n’en savait-on rien là haut ? Depuis le temps que la section Nécromancie existait, ils auraient pu faire des efforts pour faire comprendre au public que les vieilles superstitions étaient vraiment des superstitions. Enfin bon, il verrait ça quand il serait Maître nécromant à son tour.

Il suivit le drap blanc qui lui servirait de guide pour quelques temps, et arriva dans une petite salle, au plafond voûté. Un petit bureau, quelques étagères, et une chaise. Un tabouret plutôt.
Il s’approcha du bureau, et vit un rouleau de parchemin posé contre l’encrier. Il le prit.

« Je suppose que c’est la note de Seilius sur ce que je dois faire en l’attendant ?
- Ouaip, t’as tout compris. Tu remontes dans mon estime, bravo. »

Lanseo ignora le sarcasme et déroula le parchemin.
Sa seule longueur l’effara quand il vit le parchemin se dérouler, tomber au sol, et continuer dans la pièce, puis au dehors, loin dans le couloir, pour enfin se perdre dans l’obscurité.

« Mouais, c’est vrai que ça te tiendra un petit moment, ça. Pas plus de cinq ou six ans à mon avis. Il est généreux, Maître Seilius. »

Lanseo resta muet, le regard dans le vague.
Et dire que ça ne faisait que commencer.