XI

 

   
 

Dans la vaste immensité, nimbée d'une lueur fragile, elle s'éveilla.

Parmi les innombrables étoiles qui l'entouraient, certaines brillèrent plus que d'autres, et leurs lumières vinrent baigner le corps de Saori, réincarnation de la déesse Athéna. Lentement, elle ouvrit les yeux, et passa un long moment à méditer.

Elle finit cependant par sentir sa présence, tapie dans l'obscurité, et se tourna lentement dans sa direction.

Il jaillit soudain de l'ombre, dans un éclat flamboyant. L'espace s'illumina soudain, éclairée par le Feu divin qui l'habitait. En un instant, l'espace fut divisé en deux, entre la douce clarté des étoiles et le vif éclat d'un soleil rouge...

Arès était là, face à elle.

Il était grand, les cheveux flamboyants, et ses yeux brillaient de reflets d'or et de sang. Elle fut surprise en le voyant ainsi: aussi loin que sa mémoire pouvait aller, Arès n'avait jamais emprunté le corps d'un mortel aussi banal... Ou plutôt, humble était un mot plus juste.

Elle se souvenait en effet de l'avoir affronté sous les traits de colosses gigantesques au regard farouche et barbare, géants à la force titanesque et au cri brutal. Elle se souvenait de la constante rudesse des incarnations de ce rival, qui avait toujours vu en la force le meilleur moyen de régir la Terre...

Mais cet Arès là était différent.

C'était très étrange. Il avait en quelque sorte, changé, lui qui s'était souvent montré si arrogant dans le choix de ses incarnations. Elle se rappelait en effet son habitude, qui était d'habiter le corps du plus grand guerrier d'une génération: l'homme qui se tenait face à elle dérogeait étonnamment aux critères qu'elle reconnaissait à Arès. Oui, c'était très étonnant.

Il s'approcha d'elle d'un pas posé, laissant derrière lui des empreintes enflammées.

Elle se rendit compte alors qu'autour d'elle s'étendaient les limbes de l'Olympe, le monde d'origine des dieux...

Il s'arrêta à quelques pas d'elle, et la toisa un instant, avant de dire, le sourire aux lèvres:

" Décidément, Athéna, vous serez toujours aussi belle. Mais quelle dommage que vous deviez rester si chaste... "

Et il éclata d'un rire qui fit vibrer les cieux. Son regard montrait toujours cette même intensité, dissimulant mal le feu qui brûlait dans son coeur, le coeur d'un dieu... Et pourtant, cet éclat dans ses yeux dénotait plus une sombre et subtile intelligence que la simple rage qu'elle lui avait toujours connu.

Non, cet Arès était différent, trop différent même. Les Dieux étaient des entités immuables: comment pouvait-il avoir changé à ce point? Elle-même n'avait que peu...

" Je me doute bien de votre étonnement, ma douce et chère ennemie : comment se fait-il qu'il ait tant changé? "

Son regard devint froid. Il continua, d'un ton plus sévère:

"Tout ce que vous venez de subir, Saori Kido, n'est que le premier pas vers une nouvelle ère. C'est moi qui vous ai rappelé dans l'espace Olympien, afin que nous en discutions sans menacer le monde mortel. Je ne souhaite pas l'affrontement, du moins pour l'instant, et surtout pas ici. Contentons nous de parler. Je crois que nous avons beaucoup à nous dire..."

Il garda le même visage sérieux, attendant sa réponse. Quel contraste avec l'Arès d'il y a deux cents ans! C'était bien la première fois qu'il demandait à la déesse de discuter sans dégainer sa hache...

Saori-Athéna garda le silence un moment, puis demanda, sur un ton tout aussi sévère:

" Pourquoi avoir tué tous ces gens? Toute cette destruction... Des innocents sont morts par votre faute..! "

Le visage d'Arès resta sombre et impassible. Son aura n'était plus qu'un fin rayonnement écarlate.

"Je sais ce que j'ai fait. Tout ceci était à dessein.

-          A dessein?! Croyez vous pouvoir conquérir la Terre de cette façon? Comment pouvez vous sacrifier la vie de tant d'innocents?

-           Mon but est atteint quand je vois votre colère... Car ce n'est pas seulement la Terre que je veux."

Elle le foudroya du regard. Elle venait de comprendre. C'était à cause d'elle qu'il avait fait ça. C'était pour attiser sa colère qu'il avait fait mourir tous ces gens. Pour assouvir sa vengeance. Une vengeance qui a valu la mort de millions de personnes! Il savait qu'il la toucherait plus ainsi que par une offensive ouverte. Et il ne s'était pas trompé.

L'aura de la déesse s'intensifia.

"Je ne peux vous pardonnez ce que vous avez fait.

-          Je n'attends aucune absolution."

Leurs regards s'affrontèrent. La tension entre les deux divinités atteignait son paroxysme. L'espace Olympien fut parcouru de secousses. C'étaient pour cela que les dieux avaient toujours préféré s'affronter sur Terre. Parce qu'ici leurs duels titanesques entraîneraient la perte de l'Olympe.

"Comme je vous l'ai dit, ceci n'est que le premier acte. Nous verrons si vos Chevaliers seront de taille cette fois contre mes Berserkers. La prochaine fois que nous nous rencontrerons se décidera ou non votre victoire ou la mienne... Mais cette fois, je ne saurais perdre."

Le souffle des énergies devenait terrifiant. D'un geste, Arès rompit le duel divin.

« Athéna, le moment est venu de décider à qui de nous deux reviendra le devoir de protéger la Terre. Vous savez pertinemment que j’ai fait un serment, moi aussi – et je ne le trahirai pas…

Cela fait des millénaires que nous nous affrontons, en duels meurtriers, et pourtant, la situation, au gré de vos victoires ou des miennes, n’a jamais vraiment évolué. Nous en sommes toujours au même point...

Voici donc ce que je propose.

Un tournoi.

Vos Chevaliers contre mes Berserkers.

Le vainqueur donnera à son camp le droit sur la Terre. C’est aussi simple que cela.

-          Pourquoi devrais-je accepter.. ?

-          Parce que l’enjeu vous y oblige.

-          L’enjeu ? »

Il la regarda d’un air glacé. Les flammes dans ses yeux se figèrent un instant.

« Il y a effectivement un petit enjeu, juste de quoi vous motiver… Il se trouve que les victimes des éruptions volcaniques de ces derniers temps n’ont pas encore rallié le monde des morts. Leurs âmes sont prisonnières du magma terrestre, retenues par mon influence. L’enjeu est donc clair : chaque Berserker que vous vaincrez libérera les âmes qu’il retient, et je les ramènerai à la vie. Tout simplement. »

Un silence se fit. Arès était à la fois franc et machiavélique. Athéna reconnaissait là toute sa brutalité, mais goûtait pour la première fois sa malice.

« J’accepte, si c’est la seule façon de sauver ces gens. Mais…

-          Mais ?

-          Que pensent les dieux de tout cela ? Sont-ils au courant de vos projets ? Vous interférez avec les lois d’Hadès en retenant ces âmes…

-          Ne vous inquiétez pas. Zeus me soutient dans mon entreprise. »

Athéna frémit, et l’espace olympien vibra.

« Zeus te soutient dans ton entreprise ? !

-          Et oui, petite sœur… »

Zeus soutenait donc Arès ? Elle tenta de comprendre. Peut-être s’était-il lassé de leur éternel conflit sur Terre, peut-être voulait-il une issue définitive ? Elle soupira.

« C’est entendu, Arès. Mes Chevaliers participerons au tournoi… »

Arès sourit. Elle se doutait qu’il venait d’obtenir ce qu’il souhaitait. Elle allait lui parler encore, quand elle fut rappelée sur la Terre…

 

   

         
 

 

Arès contempla un long moment le point du firmament par lequel Athéna venait de disparaître. Ils n'avaient pas eu le temps de tout se dire, mais il jugeait cela suffisant.

Ce n'était pas la perte de sa rivale qu'il voulait.

Il se retourna, scrutant la parcelle de ténèbres qui s'étendait au loin. Il lui fallait encore attendre son heure.

Mais il était prêt à patienter. Cela faisait deux siècles qu'il méditait sur sa défaite, et il avait fini par comprendre.

Il avait été manipulé. Par Lui.

Ce traître s'était servi de sa rivalité avec Athéna pour provoquer un nouvel affrontement entre eux deux. Et Il avait triché.

Il avait désobéi aux lois divines et s'était mêlé de leur duel. Il avait rompu le fragile équilibre qui s'était instauré entre le Seigneur de la Guerre et la Gardienne de la Terre. Il s'était arrangé pour faire perdre Arès, et l'amener à demander asile au Royaume Souterrain. Poursuivi par Athéna et ses Chevaliers, Arès n'avait pas eu le choix. Lui, Arès, avait servi de prétexte pour que l’Autre intervienne alors sur Terre...

Hadès...

Hadès avait été sur le point de gagner.

Mais il ne gagna pas.

Un sourire s'afficha lentement sur le visage du Seigneur de la Guerre.

Les Chevaliers d'Athéna étaient réellement dignes d'éloge. C'était pour cela qu'il les respectait, tout comme il respectait leur protectrice. Depuis toujours.

Mais ce n'était pas le genre de propos à tenir pour l'instant : sa vengeance passait avant.

Ainsi, deux cents ans après, Hadès complotait à nouveau contre la Terre et l'Humanité... Le Seigneur de la guerre entrevoyait les projets du Dieu Sombre, et les prémisses de son plan. Cela l'amusait: il avait l'opportunité d'exercer sa propre intelligence contre celle d'un autre, un autre esprit divin.

Il se doutait de la surprise d'Athéna face à son apparent changement. Mais cela ne lui importait guère. Elle allait lui être utile.

Arès, fidèle à son serment, protégerait les mortels, tout comme il l'avait toujours fait.

Car il l'avait juré.