XXI

 

   
 

Seiya s'éveilla avec une étrange sensation, comme un changement qui se serait opéré en lui, sans qu'il ne s'en rende clairement compte. Son corps résonnait d'une étrange chaleur qui ne lui était pas familière. Il se leva et vit Jabu étendu au sol. Il était vivant.

Ce qu'il avait tenté avait marché ! Il avait réussi à empêcher le Sacrifice de la Licorne !

Seiya éclata d'un grand cri de joie alors qu'il aida à transporter le corps de Jabu toujours inconscient. Il croisa le sourire de ses frères Chevaliers, et remercia les dieux d'avoir permis ce dénouement, portant son regard sur Ares, et Athéna.

C'est alors qu'il se rendit compte de la disparition du Duelliste, qu'il ne retrouva pas parmi les Berserkers qui se tenaient de l'autre côté de l'arène. Il demanda donc à Shiryu ce qui s'était passé pendant son inconscience, et apprit le renoncement du Berserker à son statut de guerrier d'Ares, puis son départ. Après sa défaite il avait tenu sa parole et avait rendu les âmes qu'il avait prises. Seiya ressentit de la tristesse face au destin de ce si redoutable adversaire, et regretta de ne pas lui avoir accordé sa revanche, et d'en n'avoir désormais plus jamais la possibilité en fait...

Etrangement, au fond de son âme, il sentit brûler une nouvelle flamme, une chaleur faite de bravoure, d'honneur et de loyauté. Il lui sembla être imprégné de la force et de l'énergie du Duelliste, comme si une parcelle de ce dernier avait fusionné avec lui...

Il se sentait revigoré.

Une main se posa alors sur son épaule. Shina lui indiqua que son tour était venu d'affronter un Berserker. Ce dernier attendait déjà dans l'arène.

Le Berserker aux Deux Sabres.

Le Samurai.

 

   

         
   

Il avait assisté aux défaites des deux autres sans broncher, sans même remuer.

Ils n'avaient eu que ce qu'ils méritaient. La voix du Guerrier est celle de la Victoire, et l'Amazone comme le Duelliste s'étaient montrés indignes de leur rang de Berserker.

Il sourit.

Comme si ce genre de détail importait à présent...

Car le sort des Berserkers ne l'intéressait plus. Le Samurai sentait l'heure fatidique arriver, celle qu'il attendait patiemment depuis si longtemps, et il se préparait. Sa prise sur ses sabres se raffermit alors que le Chevalier Pégase pénétra dans l'arène avec son habituelle arrogance.

Eh bien, que le destin s'accomplisse...

 

   
         
   

Seiya commença avec la première technique que Marine lui avait enseignée, celle qu'il maîtrisait le mieux, et celle qui exprimait le mieux ses capacités : les Météores de Pégase.

Fort de son expérience de la Bataille du Sanctuaire, investi sans le savoir d'un nouveau souffle en lui insufflé par le Duelliste, il se sentait prêt à abattre des montagnes. Son adversaire, avec ses deux sabres ridicules, ne tiendrait pas longtemps face à lui.

Il allait gagner quoi qu'il lui en coûte.

Il sourit avec confiance alors que s'accélérait la cadence de ses Météores.

 

   
         
   

Sans dire le moindre mot, sans exprimer le moindre sentiment, il continuait d'esquiver. Il n'était pas comme ses frères qui aimaient montrer leur puissance, à force de mots et de cris, redoublant d'invention quant aux effets d'intimidation. Cela le faisait rire.

Il n'était pas du genre démonstratif, loin de là.

Sa vision de la perfection au combat était telle le tranchant de ses sabres : unique et pure. Un seul coup lui donnera la victoire.

Là était la véritable perfection.

 

   
         
   

Seiya s'étonna de l'attitude défensive de son adversaire, mais ne s'en formalisait pas. Il vaincrait, et c'est tout.

Il redoubla encore l'intensité et la vitesse de ses coups, avec une aisance qui l'étonna lui-même, puisant dans une énergie qui lui était inconnue. Mais le Samurai continuait de tout esquiver.

Comme l'avait fait le Duelliste lors de leur affrontement à l'épée...

C'est alors qu'il remarqua ce que faisait le Samurai.

D'étranges arabesques se dessinaient sous leurs pas, au rythme de leur progression dans la surface de l'arène. Seiya se méfia, cela pouvait être une technique inconnue de lui, alors sans réfléchir plus, il brisa le motif que le Berserker semblait apparemment poursuivre. Le flux de ses Météores dévia de ce que le Samurai sans doute attendait, et Seiya tenta de le mettre à terre d'une ultime rafale.

Etre imprévisible pouvait être une solution.

C'est alors que le monde lui sembla se dédoubler, mais ce malaise fut très passager, de sorte qu'il n'y attacha guère d'importance. Il serra les dents et repartit à l'attaque : le Samurai était toujours parfaitement indemne, esquivant encore et toujours.

 

   
         
   

Shiryu regardait ce premier échange avec attention, et la tournure qu'il prenait lui rappelait étonnamment son affrontement avec cet autre Berserker, celui au regard vide, celui qu'on appelait le Tueur. Mais quelque chose n'allait pas.

Le guerrier d'Ares qui avait attenté à la vie de Saori-Athéna avait effectivement montré une technique de combat très proche, consistant à toujours suivre le rythme de son adversaire pour mieux le briser ensuite.

Le Samurai semblait quant à lui tisser un motif bien particulier avec ses pas, et les étranges passes qu'il faisait avec ses sabres pour se défendre des coups de Seiya étaient trop régulières pour n'être que de l'improvisation dans la bataille.

Contrairement au Tueur, le Samurai créait un motif qui n'avait rien à voir avec le rythme de Seiya lui-même.

En effet, le Samurai tentait de l'entraîner quelque part.

Autre part, en fait.

Ses yeux s'écarquillèrent alors lorsqu'il vit le prodige qui suivit.

 

   
         
   

Seiya n'abandonnait pas, il lui en fallait bien plus pour l'abattre désormais.

En effet, l'épreuve que furent sa possession par le Tueur et sa tentative d'assassinat sur Athéna l'avait profondément marqué : il lui en faudrait beaucoup plus maintenant pour le faire douter.

Son but était clair dans son esprit.

Ares et ses Berserkers tenaient entre leurs mains la vie de millions d'hommes et de femmes, pris au piège dans les volcans qu'ils contrôlaient. La vie de ces innocents, voilà ce qu'il avait à sauver, voilà pourquoi il se battait.

Pour la Terre, l'Humanité, et Athéna.

Il changea d'approche, et ralentit la cadence de ses Météores pour mieux viser. C'était la première fois qu'il tentait d'adapter sa technique des Météores sur un autre facteur que l'accélération. Un combat, il s'en rendait souvent compte, était aussi affaire d'improvisation...

D'ailleurs, le visage toujours impassible de son adversaire l'irritait de plus en plus, et sur une impulsion, il visa soudain le front du Samurai de son poing droit.

Le Samurai porta le pommeau de son sabre court en avant, stoppant le poing, puis s'incurva pour trancher l'avant-bras de Seiya, qui fut soudain projeté par la violence de l'impact. Ce geste, au grand étonnement de Seiya, restait clairement dans le prolongement de la « danse » du Samurai. Et bien que son armure l'ait protégé de la lame, Seiya fut violemment rejeté en arrière sous la force du Berserker.

Derrière son attitude défensive donc, se cachait certainement un monstre de puissance. Le Chevalier Pégase sentait les fluctuations infimes de l'aura du Berserker, des variations si subtiles qu'il n'en comprenait pas le sens.

Aux motifs spatiaux des pas de la « danse » venait s'ajouter celui de la variation énergétique de l'aura du Samurai.

C'est alors que quelque chose changea dans sa perception, un peu comme le léger malaise qu'il venait de ressentir tout à l'heure, mais en plus prononcé. Il lui était sûr d'avoir été projeté en arrière, vers le côté où siégeaient Athéna et Ares.

Or, il les vit nettement se profiler derrière le Samurai alors que celui-ci, toujours parfaitement immobile, lui porta soudain un second coup, à nouveau de face.

Comment cela se pouvait-il ? Etait-il rapide au point de pouvoir sembler se téléporter ?

Non, ce n'était pas cela, le Samurai n'avait pas bougé, ses gestes montraient une évidente continuité : le Chevalier Pégase en était certain, c'était lui-même, Seiya, qui avait changé de sens !

Il avait été projeté dans une direction, et par un étrange phénomène, sans doute le pouvoir du Berserker, cette direction s'était inversée ! De sorte qu'ayant été projeté par le Berserker en arrière, il  s'était tout à coup retrouvé propulsé vers ce dernier !

La technique du Samurai continuait de l'obséder alors qu'il reçut un violent coup de sabre long, du bas vers le haut, qui lui laboura le torse. Un véritable flot de sang gicla de sa blessure alors qu'il hurla.

Comment le Samurai avait-il fait ?

Si le Berserker ne s'était pas téléporté, l'avait-il alors téléporté lui ? Le changement ne fut pas suffisamment brutal pour parler de téléportation...

Non... Il ne comprenait pas, et tant qu'il ne comprendrait pas, il ne pourrait pas vaincre !

C'est alors que le paysage changea brusquement autour d'eux.

Ils n'étaient plus dans l'arène.

Le Samurai face à lui rengaina alors ses deux sabres, et s'inclina devant lui. Son visage restait toujours aussi impassible.

« Chevalier, je dois te parler... »

 

   
         
   

Le moment était venu. Le Samurai retint sa respiration.

Si le Chevalier acceptait, ce serait une ère nouvelle qui s'amorcerait.

Sinon...

Ares avait trop changé. Il fallait faire quelque chose.

 

   
         
   

Seiya contemplait avec une surprise non dissimulée le paysage rocheux qui l'entourait, et qui lui était des plus familiers.

Il était sur l'une des pentes du Mont Fuji, au Japon.

A présent, il en était certain : le Samurai maîtrisait bien des techniques de téléportation, comme celle que connaissaient Mü et son petit apprenti, Kiki...

« Tu te trompes, Chevalier, ce n'est pas de la téléportation...

-          Qu'est-ce alors ?

-          Ma technique n'a rien du tour de passe-passe... Ceux qui l'utilisent tout comme moi et qui l'appellent ainsi n'ont tout simplement pas atteint le niveau de conscience permettant de comprendre ce qu'ils font. Ils utilisent un outil sans savoir comment il fonctionne vraiment...

-          Traiterais-tu le Chevalier d'Or du Bélier d'imbécile ?!

-          Ne t'énerves pas, Chevalier. Ecoute plutôt. J'ai un marché à te proposer, et en gage de ma bonne foi, je peux t'expliquer comment je nous ai « téléporté. » M'écouteras-tu ?

-          Oui. Vas-y, je t'écouterai. »

Le Samurai s'immobilisa alors, de la plus parfaite façon, puis l'écho de sa voix se fit dans l'esprit de Seiya.

« Chevalier d'Athéna, qu'est-ce que l'espace d'après toi ? »

L'écho de cette question persista un moment, mais devant le silence de Seiya, le Samurai poursuivit :

« L'espace tridimensionnel tel que l'homme le conçoit habituellement n'existe pas. Il n'est qu'une simple illusion parmi d'autres... »

Le Chevalier Pégase restait muet. A ses mots, Seiya se rappela en effet sa rencontre avec Shaka, le Chevalier d'Or de la Vierge, qui avait énoncé une vérité semblable. Le monde n'était qu'illusion, un monde vain, une épreuve à subir.

« Détourne-toi de ces propos, des paroles inutiles qui ne servent à rien d'autres qu'à te dissimuler la réalité derrière un vernis de spiritualité... L'espace n'existe pas, tout simplement. Tout ce qui est se trouve au même point, celui qui détermine la réalité elle-même. »

Seiya restait muet d'incompréhension. Comment l'espace pouvait-il ne se résoudre qu'à un seul point ?

« C'est une question d'énergie, Chevalier. Essaie de comprendre. Chaque particule de ton être quand elle se meut voit son niveau d'énergie fluctuer : c'est cette fluctuation qui engendre sa différenciation du point de réalité originel, et engendre l'illusion de l'espace. »

Un silence passa.

« Tu as bien compris, Chevalier Pégase.

Tout à l'heure j'ai modifié ton niveau d'énergie de sorte que ton corps change de direction dans l'espace tridimensionnel, cela afin que tu te précipites sur mon sabre. J'ai dans un second temps modifié les nôtres ensemble pour nous ramener ici, chez moi, au Japon. Veux-tu encore une autre preuve de ce que j'avance ? »

Seiya acquiesça du regard, et soudain la réalité changea : en face de lui il vit, comme par une étrange lucarne dans l'espace, se découper la surface circulaire de l'arène d'Ares. Il vit les visages étonnés des autres Chevaliers après sa disparition, se demandant où les deux adversaires étaient passés.

« Ce que tu vois n'est qu'un usage parmi d'autre d'une capacité banale pour celui qui connaît le véritable aspect de la réalité... Ce que l'on appelle les dimensions de la réalité ne sont que la même réalité affublée de niveaux d'énergie différents. C'est aussi simple que cela.

-          Pourquoi me dis-tu tout cela, Samurai ? Qu'attends-tu de moi ?

-          Prends cela comme un gage de confiance. Tu sais à présent que tu n'es pas de taille face à moi : seul un véritable Chevalier d'or aurait pu espérer me vaincre, et de tous ceux que je connais, seul celui que tu appelles Shaka aurait été à ma hauteur...

-          Dis-moi ce que tu veux, Samurai ! »

Le Berserker plongea son regard sombre droit dans ceux de Seiya, comme pour sonder son âme.

« Dis-moi Chevalier, pourquoi te bats-tu contre moi ?

-          Parce que toi et les autres Berserkers détenez les âmes des millions de victimes du réveil d'Ares. Je dois te battre pour les ramener à la vie, comme il en a déjà été fait avec le Chasseur et le Duelliste !

-          Que me répondras-tu alors si je te dis que je n'ai pris aucune âme ? »

Seiya en resta bouche-bée.

« Tu mens.

-          Je ne mens pas, Chevalier Pégase. Regarde vers la vallée, et vois, malgré les torrents de lave que j'ai déversés, que le japon ne déplore pour l'instant aucune victime.

-          C'est... c'est vrai. Mais que... qu'est-ce que cela signifie, Samurai ?!

-          Ma proposition sera simplement formulée, Chevalier. Je te demande de trahir Athéna comme j'ai décidé de trahir Ares, et de te joindre à moi, et à tous ceux qui ont juré la perte des dieux...

-          QUOI ?!! Tu me demandes d'abandonner Athéna ? »

Seiya trembla, complètement abasourdi. Le Samurai poursuivit :

« Oui, tu as bien compris, Chevalier Pégase. Les dieux dirigent la destinée de l'Homme depuis bien trop longtemps. Il est temps de rendre à l'Humanité son libre-arbitre ! La volonté des dieux n'est que colère, passion et querelles. L'Homme n'est qu'un pion dans leurs jeux futiles. Trop de vies ont été perdues dans leurs affrontements insensés. Voila pourquoi je n'ai pris la vie de personne, car mon idéal diffère désormais de celui d'Ares. Les dieux ont fait de nous leurs jouets. Il est temps pour nous de libérer l'Humanité de leur emprise ! »

Seiya en eut le souffle coupé.

Parmi les Berserkers il y avait des traîtres à Ares. Des traîtres qui lui demandaient de trahir Athéna.

 

   
         
   

Oui, Ares avait trop changé.

Les siècles avaient passé, et l'esprit du Samurai était au service du Seigneur de la Guerre depuis si longtemps... l'aube des temps même, mais il s'était passé quelque chose, peu à peu, et celui à qui il avait autrefois juré fidélité n'était plus le même.

Ses idéaux originaux lui paraissaient désormais déformés de la plus hideuse façon, bien que le Samurai s'en soit toujours tenu à la stricte obéissance jusqu'ici. Par devoir.

Mais même le récent changement d'Ares n'y ferait rien.

Sa décision de trahir fut prise il y a deux siècles et demi. Lui et les autres savaient ce qu'ils faisaient, et à quoi ils s'exposaient lorsqu'ils prêtèrent le serment de trahison et de complot.

La colère d'un dieu ne les effrayait pas.

Ils se battraient pour l'Humanité, voilà l'idéal qui les avait poussé à servir Ares. Ils ne voulaient pas la violence pour la violence, alors que le Seigneur de la guerre avait de plus en plus sombré dans cette dangereuse dérive...

La défaite d'Ares il y a plus de deux siècles contre Athéna aurait du lui faire comprendre toute la portée de son erreur et lui ouvrir les yeux.

Mais ce n'avait pas été le cas, comme il avait du le constater en s'éveillant et en écoutant les nouveaux ordres d'Ares.

Les dieux étaient des sommets d'obstination.

Voilà pourquoi, lui, le Samurai, en dépit de toutes les règles de l'honneur, avait choisi la voix de la trahison. Et à présent, il attendait la réponse de Seiya, le Chevalier d'Athéna.