Je Tu Elle

I

   
         

 

 

Bonjour.
C’est la première fois que je me confie ainsi, et je l'avoue, c’est un peu intimidant…
Bon, et bien, allons-y, commençons les présentations.
Je m’appelle Lucien, et j’aurai bientôt vingt ans. Je poursuis mes études de Droit, à Aix :je suis en troisième année, et je n’ai jusqu’ici jamais rencontré de réelles difficultés dans mes études. Je suis de taille moyenne, j’ai les cheveux châtains, et les yeux noisette.
En fait, pour tout dire, ce ne sont pas de mes études dont je voudrais parler, mais d’autre chose. 
Une chose très personnelle.
Je… Je suis amoureux.
Ca y est je l’ai dit.
Depuis octobre, plus exactement. Depuis que je l’ai vue, assise deux places plus loin dans l’amphi. Depuis qu’elle m’a souri.
Je l’aime. 
Je ne saurais dire pourquoi, mais je l’aime. C’est une chose tellement connue, répétée et galvaudée, et pourtant c’est vrai :l’amour ne s’explique pas, du moins j’en suis incapable. Je ne saurais dire pourquoi ce sentiment est né en moi :est-ce une simple attirance, ou autre chose, une prédestination ou un hasard - au fond je m’en moque.
Je l’aime. 
C’est aussi simple que cela. 
Elle ne me connaît pas encore, mais un jour…
Tout cela peut paraître bien naïf, c’est vrai, et j’ai connu bien des déceptions :tout ce que je sais de l’amour, c’est qu’il est bien plus facile d’aimer que de se faire aimer…
Mais je l’aime.
Et un jour, elle m’aimera.

 

   

   

 

   

 

 

Tu te réveilles, brusquement.
Le grondement est assourdissant. Encore un de ces stupides motards…
Les mains sur le crâne, tu te laisses le temps de reprendre tes esprits, avant de te traîner jusqu’à la douche.
Au moins cette fois tu n’accuseras pas le réveil-matin…
Le contact rafraîchissant de l’eau éclaircit tes pensées. C’est parfait, tu as toute la journée pour les assombrir. Dieu que c’est excitant.
Tu avales ton café bien noir, sans plus, t’habilles prestement, et pars affronter la longue journée qui t’attend.
Un vent glacé, fort désagréable, souffle incessamment depuis quelques jours, et s’occupe de te blanchir les articulations. 
Tu détestes l’hiver. Tu détestes le froid. Si l’enfer devait exister, il serait de glace. 
Tu enfonces tes mains gelées plus profondément dans tes poches. Allons, ce n’est pas ça qui va t’arrêter. Tu en as vu de bien pire, n’est-ce pas ?
Tiens, voilà la Fac. 
Tu grognes. Voilà bien de quoi t’arrêter.
Tu pénètres dans l’amphi, et cherche la place que tu préfères. Merde, elle est prise. Tu guettes, et aperçois une place pas trop mal située, un peu plus bas, à coté d’un petit gars en pull vert. Bon, tu espères qu’il restera bien tranquille dans son coin, et ne te dérangera pas trop.
Tu t’assoies, sors de quoi écrire, attendant de coucher par écrits les divines paroles des maîtres à penser de ce lieu. Tiens, le prof n’est toujours pas là. Le destin te sourirait-il enfin ? Le brouhaha s’installe et s’intensifie. Même le petit gars à côté de toi se met à parler.
Tiens, mais au fait, c’est à toi qu’il parle.
Il a l’air un peu timide, ça a du lui coûter de t’adresser la parole. Il parle du temps qu’il fait, des profs, du boulot à faire. Tu essaies de garder ton sourire aussi frais qu’au premier instant :ce genre de discussion t’a toujours agacé. 
Tu l’observes un peu, et constates les nombreux coups d’œil qu’il jette à une fille assise en contrebas. Il le remarque et rougit. Ainsi donc ce jeune homme serait amoureux. 
Tu ricanes intérieurement, et freines ton envie de jeter un sarcasme :le pauvre ne mérite pas ça.
Bien, au moins ça l’a fait taire…

 

   

   

 

   
 

 

Elle ramena ses cheveux en arrière, et les attacha d’un geste élégant.
Elle se tourna ensuite vers ses amies, et joignit son rire aux leurs. Elles étaient encore en train de se moquer d’elle.
C’est vrai, elle était l’une des filles les plus populaires de la Fac. Jolie, intelligente et cultivée... 
Mais seule. 
C’était l’unique problème.
Ce n’était pas qu’elle manquât de prétendants, loin de là, mais aucun ne lui plaisait réellement. Ils étaient tous tellement...
En fait, oui, il y avait peut-être bien quelqu’un.
Elle l’avait remarqué depuis un moment. Grand, les yeux d’un gris glacé… Ses cheveux déjà poivre et sel tranchaient avec son visage resté jeune. Il était peu bavard, peu souriant, et elle ne lui connaissait pas d’ami. Il restait simplement dans son coin, seul.
On lui avait raconté son mauvais caractère, et son côté sarcastique :un véritable misanthrope…
Mais elle aimait la difficulté. Personne ne lui avait jamais résisté, et lui aussi cèderait à son charme, comme tous les autres. Oui, il cèderait et il l’aimerait. 
Qui ne l’aimerait pas ?
Un rire léger s’échappa de ses lèvres.
Les autres, croyant qu’elle se riait d’elles, firent la moue.
Elle les rassura bien vite, murmurant, comme une grande dame à sa cour : 
« Ne vous inquiétez pas. Bientôt, je ne serai plus seule. »