Un Mariage Mouvementé...

   
         

   

Le 8 février 1102 

"Où avez-vous trouvé cette lettre, Shibu-san ? 
- Elle était poignardée sur le plancher, devant la chambre de la Princesse Pimiko. Heureusement, je l'ai trouvé avant son réveil, et, conformément à vos instructions, je vous l'ai immédiatement portée. 
- Je vous remercie, Shibu-san, vous pouvez disposer." 

La vieille servante s'inclina avec révérence devant le Capitaine de la Garde du Shogun. Ce dernier attendit qu'elle s'en aille, puis s'adressa à une ombre derrière lui: 

"Qu'en penses-tu, Eshin? 
- Que je n'ai pas été suffisamment vigilant. Celui qui a placé là cette lettre n'aurait pas du pouvoir arriver jusque là. Qui que ce soit, il a la possibilité d'accéder jusqu'aux appartements privés de la Princesse... Ryu-san, tu comprends mon déshonneur. 
- Inutile de demander l'autorisation de seppuku au Shogun, Eshin, nous n'en sommes pas encore là. En cet instant, nous sommes les seuls, avec Shibu-san, à avoir connaissance de cette lettre, et il ne nous reste que peu de temps avant le Mariage..." 

Ryu relut la lettre une nouvelle fois. 

La fleur noire sera coupée, alors que la Lune sera pleine, bénissant le Peuple de l'Empire d'une année nouvelle. 

L'écriture était fine, mais inexpressive, comme si le calligraphe avait essayé de rendre un style le plus neutre possible. L'encre utilisée était rouge, et lui rappelait l'éclat du sang. Le papier de riz utilisé était de grande qualité, presque luxueux. 

Eshin se posta à son côté. Ryu sentit son exaspération à la tension qu'il dégageait. Le yojimbo de la Princesse semblait déjà prêt à tout pour racheter ce qu'il considérait comme une preuve de sa défaillance. Une énergie que le Capitaine de la Garde du Shogun savait qu'elle serait utilisée au mieux. 

"Quelles conclusions tires-tu du contenu de cette lettre, Eshin-san ? 
- La "fleur noire" semble clairement désigner la Princesse, il s'agirait donc d'une menace de mort. La pleine lune sera pour le 11 février, soit le jour du Mariage, dans trois jours. 
- Nous sommes bien d'accord là-dessus. Reste à établir une liste de suspects. C'est là que je bute. 
- Il est clair, en effet, que le nombre de personnes ayant un intérêt dans la mort de la Princesse sont nombreuses. sans compter le fait que le motif caché derrière pourrait tout aussi bien être personnel que politique. 
- Oui. On pourrait déduire de ce "Peuple de l'Empire" un partisan de la cause nationaliste, opposée à l'unification du Khanistan... 
- Ou le contraire: un Faucon ayant l'intention de faire échouer le processus d'unification entre nos deux nations pourrait tout à fait profiter du mariage pour frapper le Shogun et la Princesse, que tout le monde sait être les plus grands promoteurs du projet côté Scarabée. 
- Ou bien encore, une courtisane rivale de la Princesse. Depuis son introduction à la Cour, elle s'est certes imposée, mais la chose n'a pu se produire sans qu'elle se fasse au moins autant d'ennemis que d'alliés. 
- Oui. Et nous pouvons aussi songer aux Licornes. La date du Mariage correspond aussi à la date limite de l'ultimatum posé à l'encontre des Licornes au Khanistan. La mort de Pimiko constituerait un geste susceptible de faire plier le Shogun... 
- C'est là aussi vrai. Il y a beaucoup trop de possibilités, et nous n'avons que trop peu d'indices. Je suppose que la seule chose qui nous reste à faire est de renforcer encore la sécurité. Tant que nous n'avons aucun indice sur l'identité de l'auteur de cettre lettre, nous serons forcés d'avancer en aveugle. 
- Je pense aussi que c'est la meilleure chose à faire. Cependant, cette encre rouge m'intrigue. Je suis certain que ce choix ne relève pas du hasard, ce geste a une signification. 
- Effectivement." 

Ils restèrent silencieux un long moment, plongés dans leurs pensées, puis Ryu déclara : 

"Séparons-nous là, et enquêtons chacun de notre côté sur cette encre rouge. Je me charge de consulter un spécialiste de l'Alchimie, qui pourra certainement nous en révéler beaucoup plus. Pendant ce temps, essaie de sonder l'entourage de la Princesse en quête de tout signe étrange, et essaie de retrouver qui était le propriétaire de ce poignard. Vue la facture de la lame, seul quelqu'un de riche ou de très influent a pu se le payer. 
- Hai." 

Et ils se séparèrent, comme dit. 

 

   

         
   

"Voyons, Princesse, je vous jure que... 
- Vas-tu répondre, Shibu-san ?" 

Le ton de Pimiko était à la fois doux et imprégné d'une autorité certaine, celui propre à la noblesse impériale. Pimiko l'assortissait de ce charme si caractéristique qui l'imprégnait et qu'elle usait si abondamment lors de ses activités à la Cour. Elle continuait de jeter un regard scrutateur sur sa vieille nourrice et attendait qu'elle cède. Celle-ci finit par répondre, tremblante : 

"Il y avait une lettre. 
- Une lettre ? 
- Oui, plantée devant votre porte à l'aide d'un poignard. 
- C'était donc ca. J'avais déjà remarqué cette trace sur le plancher." 

Pimiko ne lui demanda meme pas le contenu de la lettre. La vieille servante ne savait pas lire. 

"As-tu repérer un détail intéressant à propos de cette lettre ? 
- Heu... Elle... elle était écrite avec de l'encre rouge." 

Le coeur de Pimiko s'arrêta de battre, un bref instant, lui laissant une empreinte douloureuse dans la poitrine. Elle savait, elle savait qui avait écrit cette lettre. 

Elle se retourna vers son petit bureau de bois noir laqué, et commenca à écrire. 

"Tu peux disposer, Shibu-san. 
- Oui, Pimiko-hime." 

La servante sortit, et Pimiko continuait d'écrire, aussi vite qu'elle le pouvait sans nuire à sa calligraphie. Il était revenu, sans doute pour réclamer son dû. Douze années avaient passée, presque jour pour jour. Un nouveau coup au coeur la secoua lorsqu'elle compta les jours. 

Il frapperait le jour de son mariage.